Le plus dur…

Publié le par Nicolas Jaillet

Le plus dur, c'est de s'asseoir. C'est ma réflexion du jour. Pour les Anciens, la publication d'un livre était une activité autrement complexe qu'aujourd'hui. La production de la matière première, pour commencer par le commencement, demandait une main d'œuvre hautement qualifiée. Ensuite, la rédaction d'un rouleau nécessitait la présence d'au moins deux scribes, et d'un troisième ensuite pour établir une édition définitive, en recoupant les deux versions… Quel boulot ! Et chaque exemplaire était recopié à la main : ouvrier qualifié une fois de plus, je devrais plutôt dire : "technicien hautement qualifié".
Dans ce contexte, on est en droit de s'étonner devant la productivité phénoménale des auteurs de l'Antiquité (Plutarque, Tite Live, Polybe…). Comment faisaient-ils pour produire autant ? Eh bien, figurez vous, amis, amies, lapins, lapines, que vous trouverez un embryon de réponse dans le film "Alexander" d'Oliver Stone. On y voit Sir Anthony Hopkins, la caution intellectuelle du main stream américain, qui interprète avec tout le talent qu'on lui connaît le rôle de Ptolémée Sôter. Et on le voit en train d'écrire ses Mémoires. Pour une fois, l'acte est à peu près rendu dans sa réalité historique : c'est à dire qu'il se ballade, et il parle. Et c'est aux scribes de se débrouiller pour le suivre partout, pour gérer le vent, la pluie… et faire en sorte que les paroles ailées du maître soient saisies dans les rets (métaphore filée quand tu nous tiens) des fibres du papier.





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Et là, on comprend mieux : les auteurs de l'antiquité écrivaient beaucoup parce qu'ils n'avaient pas besoin de s'asseoir. Ils écrivaient en marchant, ils écrivaient en mouvement. Je ne suis pas le premier à constater l'effet indiscutablement positiof de la marche à pied sur le travail d'imagination. Sortir, aller marcher, c'est un exercice que, par exemple, Stephen King recommande pour interrompre la panne (On writing, a memoir of the kraft, nous ne recommanderons jamais assez cet ouvrage). Dans la marche, l'esprit se revitalise. L'apparition, à un rythme lent et sans danger, de choses vues, le développement du paysage, et la possibilité (dans certains cadres, évidemment) de formuler à haute voix les problèmes techniques que rencontre votre imagination, sont autant de remèdes à une crise momentanée des principes d'écriture.
Malheureusement, de nos jours, point de scribes, mais un ordinateur, et une chaise. L'écrivain moderne est obligé de s'asseoir pour produire. Je ne sais pas, vous, mais pour moi, c'est le plus dur. 

Publié dans Opinions de moi

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