Qu'est-ce qu'ils vous ont fait, les mots ?

Publié le par Nicolas Jaillet

Amis, amies, lapins, lapines, 

 

 

Pardon de faire mon ronchonchounnet, mais... Je n'en peux plus. Je craque. Alors je vous pose la question, au bord des larmes - à vous, les auteurs, les blogers, les critiques littéraires, les journalistes, vous dont les mots sont l'outil, le moyen de subsistance, et, parfois, la raison de vivre : qu'est-ce qu'ils vous ont fait, les mots ? Pourquoi tant de haine, pourquoi la curée, pourquoi les vider de leur substance, pourquoi les tuer, les mots ?

Prenez l'adjectif "Eponyme". J'aimais bien éponyme. C'était un mot ancien, un mot un peu rare, parce que son usage l'exigeait. Rare, parce qu'il avait un sens précis. Et puis il sonnait joliment, comme un prénom féminin au parfum de violette. 

Eponyme, ça voulait dire : "qui donne son nom à...". Voilà. Tout simplement. Ce n'était pas un concept tarabiscotté à la Hegel ; n'importe quel crétin (comme moi) pouvait en comprendre le sens. Dans l'antiquité, les Grecs, qui ignoraient qu'ils vivaient en 432 avant Jésus Christ (c'est dire s'ils étaient cons !) avaient recours au prénom de leurs archontes pour distinguer les années. Disons qu'un certain Timon fût nommé archonte éponyme du dème du Pirée, en 432. On disait alors, au lieu de 432 : l'année de Timon. C'est pour ça qu'il était éponyme, le gars. En tant qu'archonte. Il donnait son nom à un truc. 

Imaginez maintenant une fille au parfum de violette, qui s'appellerait Eponyme. Il lui arrive des trucs incroyables, et elle devient l'héroine d'un livre. Imaginons que l'auteur, à court d'imagination, ne trouve rien de mieux comme titre que le nom de cette jeune fille, justement. Alors Eponyme (la fille) serait éponyme du roman intitulé "Eponyme". Et si on avait tiré un film du livre, on aurait dit qu'Eponyme, la fille, était éponyme d'un livre, lui-même éponyme du film. A condition que le film s'appelât, lui aussi "Eponyme", et pas : "Du rififi à Katmandou pour Bob Lennon". Sinon, ça ne marche pas. Et on ne peut pas dire que le film, s'il vient après le livre, est éponyme. Il est éponyme de que dalle ! Il donne son nom à que pouic ! Vous comprenez, bordel de bistouquette ?!! L'Eponymie, ça se mérite ! N'est pas éponyme qui veut ! Demandez à Timon du Pirée, combien qu'elle lui a coûté en pots de vin, sa charge d'archonte éponyme !!

Enfin, je devrais dire : n'était pas éponyme qui voulait, car c'est bien fini, tout ça maintenant. Je ne sais pas ce qui s'est passé. Un personnage en vue a utilisé ce mot à tort ou à travers, et la mode s'est lancée. Eponyme est sortie de sa clandestinité. Il s'est gonflé d'orgueil, à force de faire la couverture des journeaux, et comme il sonnait bien, et comme il sentait bon la violette, tout le monde s'est jeté dessus, et lui a fait dire n'importe quoi. On a pu lire récemment, sous la plume d'un auteur par ailleurs admirable : "Les Boers et leur guerre éponyme" (la guerre a donné son nom aux Boers ; avant la guerre, ils en avaient pas, de nom, les Boers... n'importe quoi). Bref, éponyme est devenu synomyme de synonyme. Drôle de destin. 

Publié dans Opinions de moi

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